J’ai perdu mon maître

Marc Meneau vient de nous quitter.

Aujourd’hui il faut je parle. Ma journée est détournée par la tristesse. La nostalgie revient. L’apprenti que j’étais, vivait dans un monde fait d’énergie et d’une harmonie à nulle autre pareille, celle où sonnait à mes oreilles les mots de mon maître à penser, mon père spirituel. Celui qui m’a fait découvrir l’histoire de la cuisine, l’histoire gastronomique dans ses grimoires, la vitalité d’un service, le caractère des hommes de la restauration, l’amour et la valorisation du terroir, la vie d’une grande famille professionnelle et corporative. Mais aujourd’hui le piano de l’Espérance va encore rester éteint, les anciens camarades de brigade laisseront posée la batterie de cuisine, les pâtissiers vont laisser le marbre s’endormir, les serveurs ne rempliront pas les coupes de mignardises, et le coup de feu du service ne sera qu’un glas funèbre. Mon maitre est mort. Marc Meneau vient de nous quitter.

Amis de l’Espérance, sortez le recueil de recettes de Marc et Françoise avant la fin du jour. Choisissez un plat. Que nos casseroles respirent le homard au jus de viande, le bœuf à la ficelle et le pot-au-feu de Dodin Bouffant. Que la friteuse siffle le crépitement du cromesquis. Que le four chante la vinette, le vol au vent à la bourgeoise et le soufflé au chocolat. Que les chambres froides hument l’huitre en gelée d’eau de mer et l’ambroisie.

L’Espérance me manque : Mamie et ses caramels planqués dans sa chambres, les Saint-Cochon avec Barclay, Hallyday et Collaro habillés en blanc, les journées avec Gainsbourg et sa smala, Mitterrand et Kohl en tête à tête, Rostropovitch en son univers, Pierrot et son avenir. Sans oublier l’ultime fête : la célébration à Vézelay de l’incarnation de Marc en chef de l’année. Tous les 3 étoiles, tous les cols bleu-blanc-rouge, étaient là pour vous féliciter, et je compte sur eux aujourd’hui, pour vous honorer.

Marc vous me manquez déjà. Vos coups de gueules, les assiettes qui volent, les anniversaires du personnel qui finissent dans le ruisseau, notre accent bourguignon et votre paternalisme empli d’embrassades. Vous seul savez tout ce que je vous dois.

Il était mon maitre, mon chef et mon ami. Il était mes journées de 16h, ma semaine de 6 jours, mes congés hors saison. Il était à l’origine de mes drogues pour tenir le speed, à l’origine de mes nuits pour cimenter la camaraderie, à l’origine de la croyance en ma capacité à agir.

Je croyais que nous nous reverrions à l’Espérance, pour fêter sa réouverture : j’avais tort.

 

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4 commentaires sur “J’ai perdu mon maître

  1. Vous oubliez tous les plats qu il me filait en douce pour mon plaisir…servis avec le sourire de Françoise…UN GRAND HOMME

  2. Cher Kilien , nous avons les mêmes souvenirs, la même tristesse… je n’ai pas ta plume !! Tu lui a rendu un très bel hommage. Il était un monument, un grand CHEF.

  3. Je suis atterrée par cette nouvelle.
    Un grand homme nous quitte pour rejoindre les anges, là où est sa nouvelle demeure.
    Il était fascinant, intéressant, nous aimions l’écouter parler de ses passions car c’était un vrai passionné.
    Trop tôt pour partir, mais pourquoi.
    Nous ne vous oublierons jamais.
    Toutes mes condoléances à toute la famille.
    Reposez en paix 🙏.

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